GESTE ET MATIERE
Ma démarche envisage la main, le corps tout entier comme dotés d’imagination, et mes créations sont des architectures faites par des corps qui pensent. Un équilibre délicat qui surgit entre fonction et légèreté. Le temps de la construction, tel qu’il est donné à voir, est issu d’un long processus par lequel la nature, la qualité du mouvement en lien avec la matière choisie doivent être constamment remises en jeu. Ce processus cherche à faire naitre un geste juste, précis, avec les outils qui sont ceux du danseur : perception, mémoire du geste, précision, coordination, rythme, présence…
Notre développement en tant qu’être vivant, notre anatomie, nos sens, sont le fruit des échanges multiples et continus entre tout ce qui nous entoure et nous-mêmes. Et nous voyons aussi le monde se transformer inexorablement par l’action de l’homme. L’articulation entre le geste et la matière, en tant que relation entre l’individu et le monde, compose l’endroit d’un échange double, permanent et transformateur.
En cherchant à transformer et composer le corps du danseur par la matière qu’il travaille, j’ai le désir de faire exister pour l’interprète et pour le spectateur un espace-temps où renouer une intimité singulière avec le monde.
TEMPS ET ESPACE PUBLIC
Depuis nombreuses années j’ai quitté les plateaux pour investir l’espace public et le paysage. À l’extérieur, l’espace de jeu, la place du spectateur, la lumière, le son, deviennent des données mouvantes. Il faut négocier avec un paysage, une ville, des conditions qui changent en permanence. Mes créations travaillent alors cette relation au contexte, en complémentarité ou contrepoint. Travailler dans et pour l’espace public m’a aussi permis d’explorer de nouvelles directions et d’expérimenter une dimension monumentale dans la relation à l’objet. Ce rapport d’échelle travaille alors la perception que nous avons de nous-mêmes, comme l’endroit où nous sommes.
Avec mes créations je tente aussi de produire un temps dans lequel le spectateur peut redécouvrir et réactiver dans sa perception un contexte qu’il connaît déjà, dans lequel il a ses habitudes, ses propres repères. Un paysage, une ville, ont leur propre temps, réglé par les cycles naturels et les transformations humaines, individuelles et sociétales. Et je crois que la perception que nous avons de ce temps est intimement liée à l’espace et au déplacement. Mes créations sont alors une invitation pour les spectateurs à choisir leur propre temporalité, à prendre –ou perdre –la mesure du temps. À prendre le temps d’être là où ils sont.